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mardi 2 décembre 2014

Bertrand Cantat Noir Désir une histoire contemporaine

Bertrand Cantat : le jour où Noir Désir est mort - Le Nouvel Observateur



Article publié dans le "Nouvel Observateur" du 9 décembre 2010
... j'ai fait cette page blog le 02 12 2014 ... cet article de Isabelle Monnin –  pour Le Nouvel Observateur je ne le retrouve plus ... le lien est mort ...  http://tempsreel.nouvelobs.com/culture/20130730.OBS1504/bertrand-cantat-le-jour-ou-noir-desir-est-mort.html 
ce lien n'est plus bon en ce 15 03 2018 ... ?  même sur le site du nouvel obs ...???   







en voici la copie ...

Ils ont l'habitude des réunions de crise mais celle-ci est spéciale. Lundi 30 novembre, la nuit dehors est glaciale, l'ambiance à l'intérieur électrique. Un groupe mythique vit ses dernières heures. Chez Bertrand Cantat, ce soir-là, ils sont trois à constater le désastre. Outre le chanteur, il y a Denis Barthe, surnommé "Nini", le batteur solide comme un roc, et Jean-Paul Roy, le bassiste discret. Mais "Sergio", le quatrième, le guitariste, n'est pas là.

Les trois hommes sont comme des amoureux largués sans explication. Ils ne comprennent pas. Celui qui occupe leurs conversations est parti, sans un regard, sans une parole. Depuis tout à l'heure, ils essaient de l'appeler, mais "Sergio" refuse de répondre. Sergio, le surnom de Serge Teyssot-Gay, a tout dit dans un communiqué tombé vers 16 heures : "Je fais part de ma décision de ne pas reprendre avec Noir Désir, pour désaccords émotionnels, humains et musicaux avec Bertrand Cantat, rajoutés au sentiment d'indécence qui caractérise la situation du groupe depuis plusieurs années." Un communiqué ! Et ce mot, "indécence", qui leur est lancé en pleine figure. Ils n'en reviennent pas. Ils ont connu bien des tempêtes. Mais jamais elles ne se sont apaisées à coups de "déclaration officielle". Cette fois, "Sergio" se dérobe, il ne veut plus parler. Juste tourner le dos à son passé et dire à la France entière que Bertrand n'est plus son ami.

Entre plaisir et effroi

Abasourdis, les trois musiciens bordelais sont condamnés aux interprétations. Ils se remémorent les dernières fois, les derniers mots échangés. C'était la semaine précédente, lors d'une répétition, ici à Bordeaux. Les quatre amis étaient convenus de répéter de nouveau le mercredi suivant chez Denis, dans sa maison des Landes, d'où l'on voit des animaux, des chevaux. Le groupe allait peut-être réussir à faire ce disque, dû par contrat à Barclay et attendu par des milliers de fans. Certains jours, ils arrivaient à oublier combien l'avenir était incertain, suspendu à un Bertrand Cantat en panne d'inspiration, et toujours marqué au fer rouge par le meurtre de Marie Trintignant. D'autres fois, c'est l'angoisse qui gagnait : lui devant, perdu, sec de mots ; eux derrière, désorientés.



Ce 30 novembre, dans la maison de Bordeaux où les amis discutent, c'est le sentiment de lassitude et de gâchis qui domine. "Sept années de malheur partagé pour en arriver là : que l'un crache sur l'autre", se désole un des très proches du chanteur. Jusqu'alors ils disaient : "On va mal et on n'est pas loin d'aller très mal, mais ils espéraient que le pire était derrière eux". Sept ans ont passé depuis que Bertrand Cantat a frappé au visage Marie Trintignant et l'a laissée sans soins pendant de longues heures. Des années rythmées par d'autres drames, comme un feuilleton tragique. En 2007, la mère du chanteur est morte brutalement deux mois avant qu'il ne sorte de prison. Elle ne l'aura pas revu libre. En janvier dernier, sa femme, Kristina, s'est suicidée. "Sans vouloir l'exonérer de ses responsabilités, on peut reconnaître que l'addition est salée pour lui", poursuit son ami.




"Bertrand est de retour" ?

Malgré tout, malgré la culpabilité qui d'après tous ses proches le ronge, Cantat s'interrogeait ces derniers mois, comme tout prisonnier retrouvant la vie civile, sur la reprise de son métier, la seule chose qu'il sache faire. Si les mots lui font défaut, sa voix et son énergie n'ont pas disparu. Début octobre, un buzz électrise la Toile : Cantat sera aux Rendez-vous de Terres Neuves, un festival organisé à Bègles par Jeannette, la manageuse du groupe. Ce n'est pas avec Noir Désir qu'il se produira mais avec Eiffel, le groupe d'un de ses amis. En quelques heures, les billets s'arrachent. En guise de retour, il interprète trois titres, des reprises.

Dix jours plus tard, le chanteur est sur une autre scène, à Mérignac, dans la banlieue de Bordeaux. Il est accompagné par Denis Barthe et par Jean-Paul Roy. C'est presque Noir Désir, mais ce n'est pas Noir Désir : Sergio est absent, déjà. Dans la salle, les spectateurs exultent, les portables filment l'événement : "Bertrand est de retour." C'est bien lui, ce grand type souriant, les bras en l'air et balançant la tête comme au bon vieux temps.

L'attente est énorme, la curiosité intacte

Le trio, pourtant, garde un souvenir mitigé du concert. Se retrouver sur scène leur a plu. La folie qui les attendait dans la loge les a effrayés. Tout le monde veut féliciter la star, tout le monde veut recueillir LA déclaration, la première, de Bertrand depuis 2003.  "Certains, persuadés que le groupe est aux abois, ont proposé de l'argent liquide, de la main à la main, en échange d'une interview", raconte un témoin.


L'attente est énorme, la curiosité intacte. Dès le lendemain, à la télé, à la radio, dans les journaux, sur internet, partout, il est le sujet du jour : "Cantat peut-il revenir ?" On interroge les philosophes, comme Cynthia Fleury : "Le message qu'il envoie est celui de l'effacement de l'acte. Comme si on pouvait tuer une femme, reprendre sa vie assez vite et en récupérer une sombre aura. C'est désastreux." On se tourne vers les magistrats, comme Philippe Bilger : "Dans l'instant, j'ai été gêné par son comportement scénique, souriant, exubérant, dit-il. Et puis je me suis dit que j'avais tort : cet homme a fait cure de silence, il doit pouvoir reprendre son activité. Elle implique une obligatoire gaieté qui, j'en suis sûr, est en contradiction avec son for intérieur."


Les débats sont moins virulents qu'en 2003, mais ils ne sont pas éteints. Pour les un(e)s, Cantat restera à jamais l'incarnation du bourreau domestique, l'archétype du mari frappeur, "même si rien ne permet de dire que ces violences étaient réitérées, ce qui est le propre de la violence conjugale", tempère un magistrat qui a suivi son dossier.


videos Détroit - Live Deezer Session (Horizons) 



Il avait du talent, il l'a gardé. Interprète de grande qualité, il prend des risques sur la chanson de Ferré en l'éclairant d'un peu de folie exutoire peut être à sa souffrance chronique pour un moment d'oubli. Bravo au chanteur, au musicien, à l'auteur.



Un grain de sable
Sépare la folie du génie
La folie est irréparable
Le génie, infini...
Cantat avec des accents de Léonard Cohen. sublime.

bien écouter les non-dit

si il fallait éliminer tous les artistes de toutes disciples qui on commis ou penser des choses répréhensibles, réfléchissez bien à ce qu'il resterait de la culture.

suite :
Ses potes ont avancé sur d'autres projets


Est-ce cette agitation qui crée le "sentiment d'indécence" auquel Serge Teyssot-Gay ne veut plus être associé ? Ironie de l'histoire, c'est du camp Cantat qu'est venu le coup de grâce en ce dernier jour du mois de novembre. Depuis qu'il est sorti de prison, Nadine Trintignant, la mère de sa victime, a rangé ses flèches et garde dignement le silence. Sergio, lui, le brise, le fracasse. Selon l'entourage du groupe, il y a deux ans déjà, il avait failli s'en aller, lorsque Cantat avait décidé de diffuser sur internet deux titres coproduits à la va-vite avec Eiffel. "Bertrand est assez autocentré, il considère que les autres doivent le suivre, par nature", analyse un proche de Serge Teyssot-Gay.

Mais le chanteur lui-même se sent blessé lorsque ses amis prennent d'autres chemins.  "Lorsqu'il était en prison, ses potes ont avancé sur d'autres projets, poursuit l'ami du guitariste. Il a mal vécu cela." En 2005, Denis Barthe et Jean-Paul Roy ont fondé The Hyènes, à l'occasion de la création de la musique qu'ils ont écrite pour le film d'Albert Dupontel "Enfermés dehors". Serge Teyssot-Gay a multiplié les expériences artistiques, avec Lydie Salvayre, Denis Lavant, un joueur d'oud syrien ou les rappeurs Casey et Hamé. Il a de l'ambition. Souffre d'être renvoyé sans cesse à l'affaire de Vilnius. S'agace des atermoiements et des caprices. Souhaite qu'on le respecte. Ils n'ont plus 17 ans.

"L'avenir dure longtemps"
Sans se le dire vraiment encore ce soir-là, les trois amis réunis chez Cantat sentent que le pire n'est pas tout à fait terminé. Comme disait le titre de l'autobiographie écrite par le philosophe Louis Althusser, après qu'il eut étranglé sa femme dans un accès de démence : "L'avenir dure longtemps." Et le passé est lourd de trente années traversées ensemble. Ils se connaissent par cœur. A part le bassiste qui a rejoint le groupe en 1996, ils jouent côte à côte depuis 1980. Ils ne sont alors que des lycéens bordelais rêvant, comme tant d'autres, de liberté et de rock'n'roll.



Bertrand, fils d'un militaire et d'une institutrice, petit-fils d'ouvriers, a l'insolence et la prétention de sa jeunesse : il sera le Jim Morrison français, ou rien. Ses textes tourmentés sont portés par la guitare fiévreuse de son ami Sergio, leurs concerts sont incandescents. Le chanteur charismatique s'y donne à fond, jusqu'à la transe et les syncopes. Il fait peu à peu oublier son modèle. Désormais, c'est lui, Cantat, que des bébés rockeurs imitent. Il est devenu une star, dont on épie chaque geste mais qui fuit comme la peste les médias. Il est comme ça depuis ses débuts : exubérant sur scène mais incroyablement banal dans la vie quotidienne. Depuis la mort de Marie Trintignant, ce qui était une règle est devenu un dogme : on ne le voit nulle part, on ne l'entend pas.

Une garantie contre "l'indécence"
Philippe Laflaquière est le juge d'application des peines qui a décidé de lui accorder une libération conditionnelle en octobre 2007. Trois ans après, il salue l'attitude du chanteur : "Il a été jusqu'à aujourd'hui d'une discrétion et d'une décence exemplaires." Jusqu'à la fin de sa peine, le 29 juillet 2010, l'artiste n'avait pas le droit de s'exprimer publiquement sur le drame de Vilnius. Cette obligation était une contrainte et une protection contre la curiosité. Une garantie contre "l'indécence", ce mot qui fait mal, employé par Sergio pour justifier la rupture et qui n'en finit pas de tourner dans les têtes de ses anciens compagnons. Comme le confie Denis Barthe : "Je peux comprendre les raisons de Serge. Sauf une : qu'il invoque l'indécence du groupe alors que nous avons toujours pris soin de nous tenir loin des polémiques."

Mais il a beau être discret, Bertrand Cantat excite la curiosité. Cela pourrait être une définition de l'impuissance. On se souvient de lui sortant timidement de l'église Saint-Germain-des-Prés, où venaient de se dérouler les obsèques d'Alain Bashung. Son sourire triste sur le parvis, et les photographes survoltés criant son nom derrière les barrières. "Il bouge un ongle, et un typhon se déclenche", résume un de ses amis qui le dit "épuisé et terrifié par l'idée d'être sous les projecteurs". Le juge Laflaquière observe : "Sa notoriété est une double peine non prévue par le Code pénal. Aujourd'hui encore, alors que sa peine est terminée, il en subit les retombées, c'est très difficile de se reconstruire dans ces conditions." Bertrand Cantat voulait croire la frontière étanche entre vie publique et vie privée. Mais la mort de Marie Trintignant a tout fait exploser. Le biographe du groupe (Andy Vérol, dans "Noir Désir, le vent les portera", Pylône) a un raccourci terrible : "Il n'est plus une star du rock mais du people et du fait divers." Aujourd'hui plus que jamais, alors qu'un des piliers du groupe fait sécession, le chanteur doit résoudre cette quadrature du cercle : comment faire son métier sans apparaître ? Comment apparaître sans parler ? Comment ne rien dire sans avoir l'air d'insulter les mortes ?

Une blessure "impansable"

Il y a une absente à cette réunion du 30 novembre. Son fantôme élégant plane au-dessus d'eux. Kristina Rady, l'épouse, l'amie disparue. Ils la pensaient indestructible, si forte malgré la trahison et la peine. Elle était exsangue. Elle le raconte à sa manière, délicate et grave, dans une postface à l'édition hongroise de "Persepolis", la bande dessinée de Marjane Satrapi qu'elle avait traduite dans sa langue maternelle. Elle y décrit le quotidien de la famille et son désarroi.

"Mars 2006. Comme tous les matins depuis un an et demi, j'ai encore rejoué l'acte matinal schizophrénique. Une sonnerie à 7h20 qui, à cause de mes insomnies dépressives et mes couchers à l'aube, une fois de plus, ne m'a pas réveillée. Mon petit garçon de 9 ans l'a entendue de sa chambre, il me réveille avec un tas de baisers, nous montons ensemble dans l'autre chambre d'enfant, et tirons du lit ma petite fille de 3 ans et demi. Nous n'avons plus allumé la radio depuis que dans les informations du matin nous avions entendu une brève terrible qui concernait leur père. (...) On met la table, le petit déjeuner qui n'en finit pas, nous sommes encore en retard, on s'habille en vitesse, une dernière danse pour le matin, et nous partons en nous racontant des blagues pour l'école. (...) Dès que la porte de l'école se referme sur Milo, le monde coloré vire au noir et blanc, et peut continuer la mélancolie bien connue, café, cigarettes, les longs appels téléphoniques de mon mari en prison, et ça jusqu'à 4 heures et demie de l'après-midi, où je revêts de nouveau le costume de la maman heureuse et joyeuse, avec son regard sans nuage et son sourire".

Le suicide de Kristina est l'autre blessure "impansable". Pour sa famille, bien sûr, mais aussi pour ses amis. Les membres de Noir Désir ont vécu auprès d'elle les voyages à Vilnius, la tourmente médiatique, la lutte pour que Bertrand ne succombe pas aux tentations d'en finir. C'est elle qui passera à l'acte en janvier dernier, lors d'un impossible dimanche matin. Elle se pend chez eux, au domicile qu'il avait fini par rejoindre. La tragédie devient cauchemar. Les regards se chargent d'un malaise : pourquoi encore une femme qui meurt ? Elle a laissé des mots d'excuse pour ses parents et ses enfants. Et quelques phrases, difficiles à interpréter. Elle ne voyait plus de solution, les choses ne changeraient jamais. Chacun échafaude son explication.

Pour ses parents, c'est lui, Bertrand, qui la rendait malheureuse. Pour des amis, elle souffrait de dépression profonde, ancienne. Pour d'autres, son suicide est une façon d'acquitter la mort de Marie. Rendre une vie pour celle de l'actrice, se sacrifier pour qu'enfin la haine cesse. La haine ? Ces lettres anonymes, cet incendie de leur maison des Landes et ces mots, "l'assassin Cantat", qui inondent les forums anonymes d'internet. "C'est vous, les médias, qui réalimentez sans cesse la polémique en demandant l'avis des gens sur vos forums, accuse Xavier Cantat, le frère de l'artiste. La justice est passée, il faut arrêter avec cette histoire."

Partir loin de ses saisons en enfer

La soirée avance. Bientôt décembre sera là. La décision aussi, évidente, douloureuse et libératrice. C'est presque fini. Ils ont cru qu'ils pouvaient résister à la pression, qu'avec le temps on les laisserait travailler en paix, respirer. Ils auraient aimé qu'on les oublie un peu. Mais rien ne s'efface. Même les encouragements des fans sont insupportables quand on ne sait pas si l'inspiration reviendra. "Parfois, dit un de ses amis, Bertrand craque, il dit qu'il va partir au bout du monde." Loin de ce trop long cauchemar, ses saisons en enfer.

Pour l'heure, ils vont reconnaître leur défaite. Les téléphones portables ne cessent de vibrer, bouquets de nerfs. Dehors, on attend leur réaction au "communiqué". Denis se tourne vers Bertrand : c'est peut-être l'heure de parler, de briser le silence ? Le chanteur n'est pas prêt, trop tôt pour affronter la fièvre médiatique. Qui alors pour leur répondre ? Jean-Paul Roy ne le sent pas non plus. C'est Denis Barthe qui se chargera de la sale besogne. Dès le lendemain, le batteur annoncera officiellement, la mort dans l'âme mais presque soulagé, la fin définitive de Noir Désir. C'est idiot, dira-t-il plus tard, mais ça lui a rappelé le jour où il avait dû faire abattre un cheval malade.

Isabelle Monnin – Le Nouvel Observateur

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Bertrand Cantat, Marie Trintignant : retour sur une tragédie moderne copie de l'article Isabelle Monnin - "Le Nouvel Observateur" 01 08 2013

Il y a dix ans, la comédienne succombait sous les coups de son amant. Une histoire qui a pris une ampleur extraordinaire, jusqu'à devenir un mythe contemporain.
Par Isabelle Monnin

Publié le 01 août 2013 à 15h15
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Il y a dix ans, une stupeur bousculait la torpeur caniculaire de l'été. De Vilnius venait une nouvelle sidérante, et l'on se pinçait pour y croire : Marie Trintignant tuée sous les coups de son compagnon Bertrand Cantat. La fraîcheur insolente de la fille d’une famille mythique du cinéma français à jamais effacée par la violence du chanteur d'une génération, Bertrand Cantat entrant dans le noir tunnel qu'était devenue, en une nuit, sa vie.

En mars 2004, au terme d'un procès déroutant, il est condamné par la justice lituanienne à huit ans de prison. Après des mois à l'isolement dans la prison sordide de Vilnius, il est transféré à la prison de Toulouse. En octobre 2007, conformément à la loi et à son comportement irréprochable en détention, il bénéficie d'une libération conditionnelle. Depuis le 29 juillet 2010, il a officiellement terminé de purger sa peine.

[ETE] [31Juillet]Bertrand Cantat, Marie Trintignant : retour sur une tragédie moderne
Bertrand Cantat au tribunal de Vilnius le 16 mars 2004. (Sipa)
Sa liberté retrouvée a pourtant le goût amer de l'illusion. Dès qu'il met un pied sur scène, apparaissant ici ou là auprès d'amis musiciens ou dans un spectacle de théâtre, le débat s'enflamme à nouveau, aussi virulent qu'en 2003. Il n'apparait pas dans les médias, refusant toute interview, mais sa figure électrise les forums internet. La tranquillité sera pour plus tard. Condamné à une double peine aussi informelle qu'infinie, Cantat ne pourrait plus, à entendre ses plus féroces contempteurs, exercer son métier, le seul qu'il ait pratiqué depuis son adolescence : chanteur.

Une suite de déchirures
Surtout, depuis sa libération, Bertrand Cantat a dû affronter d'autres déchirures qui s'enchaînent comme les perles noires d'un collier piquant. Après Marie Trintignant, dont il ne se pardonne pas la disparition, sa mère est décédée brutalement. En janvier 2010, c'est Kristina Rady, la magnétique Hongroise qu'il avait quittée pour vivre sa passion avec Marie Trintignant et qui l'avait pourtant soutenu durant toute l'épreuve de la prison, qui se suicide, faisant à nouveau naître les questions dans son sillage : et s'il l'avait poussée à bout, par son intransigeance folle ? Etait-elle devenue victime à son tour de violences conjugales, elle qui avait juré qu’il n’avait jamais porté la main sur elle ?

Après la mort de Marie Trintignant, les policiers avaient d’ailleurs interrogé ses ex petites amies et écumé les hôpitaux et les commissariats parisiens et bordelais à la recherche d’un antécédent de violence. En vain. Est-ce la prison qui l'aurait changé ? C'est ce qu'affirment les parents de Kristina Rady.

Si le chanteur ne quitte pas le silence auquel il s'est astreint, ses proches ne cachent pas leur dégoût face à ce qu'ils voient comme un acharnement contre un homme déjà affaibli. Fin 2010, le groupe Noir Désir finit par céder sous la pression, la dissolution est annoncée après plus de 25 ans d'existence.

En mars dernier, son plus fidèle soutien, l'avocat Olivier Metzner, se suicide à son tour. Que reste-t-il à Bertrand Cantat qui fêtera ses cinquante ans l'année prochaine ? Ses enfants, sa famille, quelques amis et une envie de ne pas laisser muette sa musique. Depuis quelques semaines, il est en studio, préparant un album solo annoncé pour le mois de novembre. On entend déjà le tumulte de sa sortie et les débats sans fin entre ceux qui jugeront indécente toute expression du Bordelais et ceux qui salueront le retour d'un artiste plus que jamais écorché.

Un mythe contemporain
Car finalement, dix ans après le drame de Vilnius, la passion n'est pas retombée. Ils sont rares les faits divers qui prennent une telle dimension collective et symbolique. Rares, les histoires qui suscitent tant d'émotions, de réactions. Jusqu'à devenir un mythe contemporain. Parce qu'elle met en scène des personnages célèbres et emblématiques; parce qu'elle parle de choses ancestrales, simples et terribles, l'amour, la famille, la mort; parce qu'elle renvoie chacun à sa part taboue de violence et de pulsion, cette histoire a pris une ampleur extraordinaire. Mettant chacun face à ses propres démons, permettant une lecture apparemment simple des relations homme-femme, la mort choquante de Marie Trintignant est une de ces tragédies qui marquent une époque.

Mais la tragédie de Vilnius est, comme tous les drames conjugaux, d'abord l'histoire d'un homme et d'une femme. L'histoire de Marie et de Bertrand, dans toute leur banale et extraordinaire humanité. Retour sur une tragédie moderne.



> L'article ci-dessous a été publié dans le "Nouvel Observateur" du 9 octobre 2003.

Le chagrin et la colère
Vous savez, quand elle avait 7 ans, j'ai dit à Marie de ne jamais faire de bêtises parce que je serais incapable de la gronder. Alors? Elle n'a jamais fait de bêtises." C'est la première chose qu'il a dite à la juge quand il est allé la voir début septembre. Jean-Louis Trintignant, que l'on dit "calciné" par la disparition de sa fille, n'était jusqu'alors pas sorti de son silence. Indéracinable de son immense malheur, il s'était retranché dans le Gard, près de son vignoble et de ses oliviers.

Loin du monde, il n'avait lu la presse que longtemps après la cérémonie blanche de Marie. C'est en découvrant que Bertrand Cantat invoquait, via son avocat, une crise d'hystérie de Marie pour expliquer son crime, qu'il a décidé de parler. Pour défendre sa fille de ce qu'il vivait comme une innommable attaque posthume. Et dire que non, sa petite ne pouvait pas avoir fait de "bêtises". Comme si accepter l'idée qu'elle en aurait fait la rendrait responsable de ce qui lui est arrivé.

Une rencontre
Il faut bien, pourtant, entrer dans les détails, pas pour inverser les responsabilités, non, mais pour reconstituer les derniers mois de Marie, le tragique enchaînement des faits. Ça commence par un coup de foudre. Marie travaille son rôle de chanteuse de rock : elle sera Janis Joplin pour le film que son mari Samuel Benchetrit s'apprête à tourner. Une de ses copines de cinéma, Anne, lui suggère de venir voir le groupe de son frère Bertrand en concert. Question rock'n roll, Noir Désir ne joue pas à moitié. Dans la loge, après le spectacle, il se passe ce qui arrive parfois, le mystère de la rencontre quand soudain il devient évident qu'on se reverra. Attirance réciproque, magnétisme. Marie reviendra voir deux autres concerts. Ce sont deux fortes personnalités qui se découvrent. Il est le chanteur charismatique qui, depuis vingt ans, enflamme la scène française; elle est la dernière des Trintignant, une actrice un peu décalée qui n'a jamais eu peur de jouer avec le feu sur l'écran ou en scène.

Le mariage de Marie avec Samuel Benchetrit est, après quatre ans de bonheur, dans une phase de creux. Il est pris par son projet de film, moins disponible. Elle le sent loin. Marie, de toute façon, n'a pas peur des ruptures amoureuses. "Elle était très exigeante, au travail comme en amour, dit sa meilleure amie Zoé. Ses hommes, elle ne les trompait pas, mais quand elle sentait les choses s'émousser, elle les laissait. Sans brutalité, avec beaucoup de respect et de tolérance." Marie, à l'été 2002, se sent en tout cas plus disponible pour une autre histoire que Bertrand qui a des scrupules: Kristina, sa femme depuis une dizaine d'années, attend leur second enfant. La relation toute neuve est d'abord platonique. "Il a voulu mettre ses distances, raconte Kristina. Mais Marie a insisté. Après la naissance de notre fille en septembre, je lui ai demandé de partir. C'était très douloureux, mais il valait mieux qu'il vive cet amour entièrement plutôt que de le regretter toute sa vie."

Bertrand achète au nom de Kristina un logement à Bordeaux et s'installe chez Marie, à Paris, dans la maison de Belleville où elle élève ses quatre enfants. Ils sont scotchés l'un à l'autre. Au printemps, ils partent en tournée : Marie joue avec son père Jean-Louis "Lettres à Lou" et "Comédie sur un quai de gare". Pour les amants, ce n'est pas tout à fait la vraie vie, ça n'a pas tout à fait le goût du quotidien. Elle est subjuguée par l'énergie qu'il dégage, il croit reconnaître une alter ego. Tous deux sont entiers, veulent vivre les choses à fond. Chercheurs d'absolu, ils partagent la passion de la poésie. Ils se sont trouvés, ils rayonnent.

[ETE] [31Juillet]Bertrand Cantat, Marie Trintignant : retour sur une tragédie moderne
Bertrand Cantat en concert avec Noir Désir. Marie Trintignant au festival de Deauvlle.(Photos Sipa)
"Marie était quelqu'un de très fascinant, poursuit Zoé. Elle mettait beaucoup d'énergie à vous rendre la vie jolie et gaie. Elle avait décidé très tôt qu'il fallait être heureux et s'y appliquait chaque jour. Quand elle vous aimait, elle avait une façon de s'intéresser à vous qui vous faisait vous sentir intelligent." Captivé, Bertrand voit peu ses proches, se contente de quelques coups de téléphone où il parle de cette expérience unique qu'il est en train de vivre. "Il était content de voir qu'on ne le jugeait pas. Il était éperdument amoureux, il fallait qu'il vive cet amour pleinement", dit un de ses meilleurs amis.

Ainsi les amoureux sont-ils dans une bulle. Quelques semaines à peine, puisque, fin mai, Marie doit reprendre le travail: le tournage de "Colette" commence. Ils partent ensemble, Marie ne veut pas le laisser, il n'entend pas la laisser. Bertrand a emporté dans ses bagages du travail, pour Noir Désir : le groupe, pour une fois, est décidé à ne pas laisser trop de temps passer avant de sortir un nouveau disque.

Tournage à Vilnius
Juin, juillet, deux mois de travail intense pour Marie qui est de tous les plans du téléfilm. Juin, juillet, deux mois d'attente pour Bertrand qui se retrouve soudain propulsé dans la vraie vie de Marie. Il ne l'a plus pour lui tout seul. Il doit la partager. "Jusqu'à Vilnius, analyse Zoé, il ne s'était sans doute pas rendu compte qui était vraiment Marie: une comédienne qui se donne à 100% au travail, et une fille aimée de tout le monde, très entourée."

Pour les amoureux, le tournage est une alternance pénible de séparations et de retrouvailles. Certains jours, Bertrand ne quitte pas le plateau. D'autres jours, il ne bouge pas de l'hôtel. Ils se quittent le matin, se jettent dans les bras l'un de l'autre, le soir. Bertrand s'ennuie, travaille peu, tourne en rond, guettant la moindre minute qu'il pourrait passer avec elle. Marie lui envoie des messages d'amour à la moindre pause. Pas une fois, elle ne partage le repas de l'équipe du tournage. Toujours, ils s'éclipsent, impatients d'être à nouveau seuls.

[ETE] [31Juillet]Bertrand Cantat, Marie Trintignant : retour sur une tragédie moderne
Bertrand Cantat sur le tournage de "Colette" à Vilnius. (Sipa)
Mais Bertrand se plaint. "Il disait qu'il en avait marre d'être à Vilnius, rapporte Kristina, qu'il pleuvait tout le temps, que les petits lui manquaient. Il n'était pas bien." Une semaine avant le drame, il envisage de partir. Marie l'en dissuade. Difficile pour lui de résister à ses prières d'amour, il n'est pas dur à convaincre. Et puis, les vacances sont proches. Pendant ce temps, ses amis de Noir Désir sont en studio et s'étonnent, sans le lui dire, qu'il ne soit pas des leurs, la première fois en vingt ans d'existence du groupe.

Marie aussi est lasse en cette fin juillet. Elle se dit fatiguée, elle a mauvaise mine. "Je l'ai eue au téléphone deux jours avant le drame, elle se plaignait, ce n'était pas dans ses habitudes", témoigne Zoé, qui pense que son amie avait alors compris que leur histoire n'aurait pas de lendemain : "Pour moi, elle donnait le change, en attendant l'explication. Là, ce n'était ni l'endroit ni le moment de faire des histoires."

[ETE] [31Juillet]Bertrand Cantat, Marie Trintignant : retour sur une tragédie moderne
Marie et sa mère, Nadine Trintignant, sur le tournage de "Colette", à Vilnius. (Sipa)
Avaient-ils réalisé que leur histoire n'était qu'un feu de paille ? Ni l'un ni l'autre n'en avaient parlé à leurs proches. L'enquête n'a pour l'heure recueilli que des témoignages parlant d'un couple éperdument amoureux, à la limite de la "midinetterie". Dans une interview donnée à une télévision lituanienne, Cantat se montre même sous un jour inconnu. Lui qui a toujours refusé la presse people répond en amoureux béat : "Rien n'est plus important dans ma vie que la femme que j'aime." Marie répète souvent combien elle a hâte "d'être au soleil, à ne rien faire, avec mon amoureux». Et dans un texto, adressé fin juin, à la sœur de son compagnon, elle écrit : "Kill (sic) est dur ce film. Je te bénis chaque jour de m'avoir fait rencontrer Bertrand. Dieu qu'on s'aime."

Marie et sa famille
Dans sa cellule de Vilnius, Bertrand Cantat fait chaque jour de la "gymnastique d'esprit", pour travailler sa mémoire. Il veut se souvenir de tout, pour trouver lui aussi du sens à ses gestes fatals. Lors de ses parloirs quotidiens, outre son immense désarroi "question culpabilité, il a pris perpète", dit un de ses proches, il commence à parler, en réponse aux échos haineux venus de Paris, de sa difficulté à trouver une place dans la famille de son amoureuse.

Une famille pour le moins atypique. Des artistes. Des flamboyants. Le père est une star du cinéma, son sourire, sa voix de velours, son regard, son amour de la vitesse fascinent. La mère, Nadine, est issue d'une famille nombreuse, méditerranéenne et haute en couleur. Cinq frères et sœurs, dont deux acteurs. Une tribu joyeuse, unie, à l'esprit libre et ouvert. "J'avais cette famille en exemple. Ils étaient beaux à voir. Chez eux, c'était vivant et tendre", confiait Marie au journal "Elle" quelques semaines avant sa mort. "Jean-Louis est tombé amoureux de toi le 21 janvier 1962 à la clinique du Belvédère, lui écrit Nadine dans la lettre à sa fille qu'elle vient de publier. Tu aurais pu devenir la reine des capricieuses." ("Ma fille Marie", Fayard 2003)

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1979. Nadine avec ses enfants , Marie et Vincent. (Sipa)
Effectivement, on ne se lâche pas. Pour Marie, toutes les occasions sont bonnes pour travailler avec les siens. Depuis son premier vrai rôle à 16 ans dans "Série noire" de son beau-père Alain Corneau, sa carrière raconte aussi son histoire familiale. Et donne parfois le vertige : "Janis et John", son ultime film pour le cinéma, est tourné par son ancien mari. Elle y partage la vedette avec son père et un ancien de ses compagnons, François Cluzet. Le téléfilm sur Colette, dont elle a coécrit le scénario avec Nadine, est mis en scène par sa mère. L'amant incestueux de Colette y est joué par son propre fils, Roman. Elle a joué avec Jean-Louis au théâtre les "Lettres à Lou" de Guillaume Apollinaire, où père et fille s'envoyaient des mots d'amour enflammés. Loin de revendiquer une quelconque provocation, ils s'en amusaient toujours, de ce jeu avec le tabou des tabous, l'inceste. "Nous sommes plus naïfs que les gens qui peuvent y voir de la perversité, disait Marie. C'est juste un jeu et c'est moins gênant de jouer des scènes d'amour avec un proche."

Dans son livre, outre les charges violentes contre Cantat, Nadine dévoile un peu des liens étonnants que cette famille avait développés. Elle raconte son mariage avec Alain Corneau. Trois témoins à l'union : Marie, accompagnée de son frère Vincent et de son mari Samuel. Elle se rappelle cet après-midi d'été où elle se réveille d'une sieste, "en plein sale rêve". Le pressentiment que sa fille, alors âgée de 16 ans, a besoin d'elle. Elle lui téléphone immédiatement. Un an plus tard, Marie lui dira qu'elle venait de faire l'amour pour la première fois. Et puis, le récit des accouchements de Marie, qu'elle vit à ses côtés. Après la naissance de Roman, "dans la voiture en rentrant, épuisée, heureuse et distraite, j'ai demandé à Vincent s'il était content d'avoir ? un petit frère!". Fusion, confusion des rôles parfois, mais surtout refuge, liberté et amour. On s'aime, très fort. On se le dit. De façon exacerbée parfois : "Je suis amoureux de ma sœur", "je suis amoureuse de mes enfants", affirme-t-on chez les Trintignant. C'est leur façon d'être, leur normalité à eux.

Bertrand et sa famille
Bertrand Cantat débarque dans la vie de Marie à l'aube de la quarantaine. Son chemin professionnel est déjà bien tracé, loin du cinéma, un monde qui ne le bluffe pas. Il a réussi dans son domaine. Quant à son "sac à dos familial", il est empli d'autres choses, il n'a pas les mêmes clés que Marie. Il est né dans une famille beaucoup plus traditionnelle. Grands-parents ouvriers. Parents issus d'une petite ville de province qu'une aciérie fait vivre depuis des générations. On y est ouvrier ou ingénieur. Les Cantat sont ouvriers, de père en fils. Mais les parents de Bertrand veulent échapper à cette fatalité sociologique, briser la reproduction. Ils prennent ce que la République propose à ses enfants modestes : l'armée pour lui (il deviendra para et "fera" l'Indochine et l'Algérie), l'Education nationale pour elle (première bachelière de la famille, elle sera institutrice).

Les Cantat déménagent souvent, au gré des affectations paternelles. Les enfants, deux fils et plus tard une fille, en souffrent. Mais, "mes parents avaient les schémas éducatifs de leurs propres parents, explique Xavier, l'aîné de la famille. Ils étaient peu à l'écoute des enfants. C'était la vie, c'était comme ça". Education un peu rugueuse, assez stricte. En même temps, l'appartement HLM est peuplé de livres et les repas animés de discussions politiques à n'en plus finir. "Nos parents, par leur ouverture d'esprit, nous ont inculqué l'esprit critique, poursuit Xavier. Ils nous ont donné malgré eux les armes de la contradiction. Alors, la crise d'adolescence a commencé assez tôt."

Quand, à 16 ans, Bertrand annonce qu'il veut faire du rock avec des copains de lycée, ça passe mal. Les parents rêvaient pour lui d'une ascension sociale plus classique : bonnes études, et puis ingénieur, avocat ou médecin. Mais Bertrand, comme son frère, aspire à la liberté, s'imagine volontiers en marge des conventions sociales et cherche, surtout, un moyen d'exprimer ses tourments d'adolescent romantique d'abord et de jeune homme engagé ensuite. Alors, à 18 ans, il quitte la maison et s'assume entièrement seul. Il fait des petits boulots et du rock'n roll. Il découvre qu'on peut vivre sans ses parents. Il se construit, pas contre eux, mais à distance.

Bertrand et Marie
A des années-lumière de la petite Marie qui jamais ne trouve pesante sa famille, jamais ne se révolte et ne peut imaginer vivre loin de ses parents adorés. Quand Bertrand rencontre Marie, il ne s'en étonne pourtant pas, concentré sur l'amour qu'ils vivent. Essaie-t-il de couper Marie des siens ? C'est ce que pense sa mère qui l'accuse d'avoir voulu s'approprier sa fille, à la manière d'une "bête guettant sa proie" : "Ton meurtrier a été attiré par ton formidable amour de la vie. Il a tenté de le prendre pour lui." Bertrand Cantat, lors de ses parloirs, réfute cette accusation : "C'est moi qui ai été coupé de tout le monde, pas Marie qui était avec sa famille et ses amis." Il raconte que Jean-Louis lui avait proposé de reprendre son rôle dans "Lettres à Lou" : "J'ai refusé, ça m'aurait pris trop de temps, ce n'était pas mon truc. Ils n'ont pas compris. Ils y ont peut-être vu de la défiance ou du mépris de ma part."

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Marie Trintignant en 1999. (Felix Golesi-Maxppp)
Reste qu'entrer dans la vie de Marie n'est pas chose simple. Car elle a un passé, qui ne ressemble pas exactement à un long fleuve tranquille. Quatre enfants, de quatre pères. Marie pourrait être une publicité pour la famille recomposée. C'est sans doute cela qui la rendait si attachante, cette volonté de tout être, tout vivre, sans rien sacrifier: mère, fille, amante, amie, actrice. Mère de famille mais femme libre de son cœur, elle subjuguait ses hommes, et avait vécu des histoires d'amour tumultueuses. "Je suis fasciné par son côté mante religieuse", disait d'elle son père, il y a quelques années, dans un portrait pour le journal "Libération".

Pourtant Marie quittait rarement ses ex complètement. Elle restait attachée, par les enfants, faisait glisser la relation de l'amour à la fraternité, trouvant à chacun une place dans sa famille. Elle rêvait de Noël où tout le monde serait réuni : ex, enfants, nouvelles compagnes des ex ? Il lui fallait de l'énergie, disait-elle, et aucune mesquinerie pour réussir cela. Mais le volontarisme ne suffit pas toujours. Cet été, au lieu du mois prévu, ses trois plus jeunes enfants ne passent que dix jours à Vilnius aux côtés de leur mère. Difficile de concilier rôle parental et début d'histoire d'amour. Six enfants, cinq autres parents, très vite le couple Bertrand-Marie se trouve confronté à ce que connaissent toutes les familles recomposées: l'organisation. Ces coups de fil à essayer de caler l'arrivée des uns et des autres, les négociations parfois rudes avec les autres parents, toutes ces heures à ne parler que de cela. Autant de piqûres de rappel de leur vie d'avant.

Mort d'un amour
Bertrand est très jaloux. Exclusif. Et, dans la vie de Marie, les raisons de le rendre jaloux ne manquent pas. Ses parents, et tous ses anciens hommes qu'elle n'a pas rangés dans le tiroir des souvenirs. Il y a surtout Samuel Benchetrit, qu'elle a quitté pour lui mais qui reste si proche, comme metteur en scène mais aussi comme papa de toute la tribu. Volonté de se dédouaner ou pas, Bertrand explique aujourd'hui que Marie aussi était jalouse de Kristina, qu'elle lui avait demandé de rompre tout contact avec elle. Il le fait. "Je n'ai pas compris quand il m'a annoncé cela, dit la jeune femme. Mais je pense maintenant que c'était une sorte de contrat : il attendait qu'elle fasse la même chose de son côté."

Alors, quand arrive le texto de Samuel Benchetrit se terminant par un mot tendre, Cantat se sent trahi, il pense que Marie se moque de lui. Lui demande des explications. Elle se tait, elle n'aime pas les conflits. Il insiste encore et encore. "C'est un garçon capable de parler des heures, de ruminer des nuits entières quand quelque chose ne va pas. Qui ne lâche jamais l'affaire", dit un de ses amis.

Alors Cantat ne lâche pas Marie. Toute la journée du 26 juillet, et la soirée, il revient à la charge. Ce qui se passe après, personne n'y a assisté, sauf eux. Outre les témoignages de ceux qui ont entendu des bruits de dispute pendant près d'une heure et le rapport d'autopsie, accablant pour le chanteur, les enquêteurs ne disposent que du récit de Bertrand. Une fois rentrés à leur hôtel, dit-il, il pose une dernière fois la question. La fois de trop. Selon lui, Marie est alors excédée, elle explose, se met à crier, lui suggère de retourner chez sa femme. Et le frappe. Un comportement qui, selon les proches de Marie, ne lui ressemble pas du tout. "Elle était incapable de hausser le ton avec ses gamins, certifie Zoé. Elle ne savait pas crier, détestait les disputes."

Cantat poursuit sa version: il est tombé, une douleur du dos se réveille. Il entre dans une rage folle et répond à Marie. Pas avec des mots, pas en quittant la pièce, mais avec des coups. "Il a voulu avoir le dernier mot", a expliqué sobrement François Cluzet au fils qu'il a eu avec Marie. Plusieurs fois (quatre seulement selon lui), il lève le bras pour la frapper. Plusieurs fois, il déverse sur son visage et son buste toute sa force d'homme sportif et baraqué. Une violence hallucinante, que, dans son entourage, personne ne dit lui avoir jamais vue. "Il pouvait être violent en paroles, emporté, excessif. Ça n'est jamais allé plus loin que la bousculade entre nous", répète inlassablement Kristina, soupçonnée par les proches de Marie de vouloir défendre le père de ses enfants en cachant des violences passées. Des engueulades, parfois terribles, oui, mais rien de plus que des assiettes qui volent. Nadine, elle, n'en démord pas : elle est convaincue que d'autres femmes ont été battues avant Marie. A l'heure où nous écrivons ces lignes, les enquêteurs n'ont trouvé aucun témoin ou antécédent de violence ou de bagarre de la part de Cantat.

Mais, cette nuit-là, sa violence a indiscutablement déferlé. Dans le salon de l'appartement, Marie est à terre. Croit-il vraiment qu'elle dort ? Le croit-il ? Il la couche, un linge humide sur le front. Il est terrorisé, effrayé d'avoir cassé son histoire d'amour. Il téléphone longuement à Samuel Benchetrit, en larmes, et fait venir Vincent qui préviendra les secours, à la fin de la nuit. Bien tard. Bien trop tard pour sauver Marie.

Isabelle Monnin - "Le Nouvel Observateur"
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